Les multiples facettes du “Potomitan”, la femme-totem des Antilles.
Du 8 au 21 mars, le musée de l’Homme met à l’honneur la femme totem, figure vénérée des Antilles. L’occasion également, avec une exposition et un salon littéraire, de redonner sa juste place à l’art ultra-marin dans l’Hexagone.
La femme antillaise, on l’appelle « potomitan » en créole. L’expression renvoie au poteau central du temple vaudou qui symbolise l’axe du monde. Autrement dit le totem. A l’époque de l’esclavage, en Martinique ou en Guadeloupe entre autres, l’homme noir n’est qu’un outil dans les champs. Ou un simple géniteur. Pas un véritable père de famille. Tout repose sur la femme, mère nourricière et protectrice du foyer, passeuse de vies et de cultures.
Ce sont ces femmes-totem qui sont célébrées au musée de l’Homme à partir du jeudi 8 mars. Neuf artistes contemporaines exposent pendant cinq jours au cœur de l’espace de l’Atrium. Au cœur d’un cocon de bambou — un ventre maternel ? —, elles campent les multiples facettes de la femme noire des Antilles.
Les guerrières d’Anabell Guerrero
Premières images, celles des Pierrotines — les habitantes de Saint-Pierre en Martinique — prises par la Vénézuélienne Anabell Guerrero, née en 1958 et doyenne de la manifestation. Ces douze immenses photos en noir et blanc montrent donc des Pierrotines d’aujourd’hui, en hommage à leurs arrières-arrières-grands-mères qui ont reconstruit de leurs mains la ville après l’éruption de la Montagne Pelée en 1902.
Le cadrage est serré, les images, découpées en trois parties. La tête, lieu du savoir et du pouvoir ; le ventre nourricier ; les jambes, force de vie, couvertes par une robe traditionnelle. Sans les couleurs, les motifs des vêtements s’estompent et toute notion de folklore est laissée de côté. Anabell Guerrero, passionnée par la Martinique depuis toujours, présente ces femmes comme des guerrières, des caryatides, qu’elle avait d’ailleurs collées sur les bâtiments du centre-ville de Saint-Pierre en 2014. Célébrées par les habitants, ces femmes sont restées sur les murs de la ville jusqu’à aujourd’hui.
Les disparues de Sylvia Eustache Rools.
Les silhouettes de textile de Sylvia Eustache Rools (artiste d’origine martiniquaise née en 1978) convoquent, elles, des aïeules inconnues, figures tutélaires évanescentes. Elles ont disparu. Ne restent que leurs vêtements et les os de leur colonne vertébrale que l’artiste a ramassés elle-même.
Dans la tradition bouddhiste, avant de traverser le fleuve pour passer dans l’au-delà, le défunt pend ses habits à une branche afin de déterminer le poids de ses péchés. L’artiste mêle ainsi ses croyances à des récits qui l’ont marqué comme Paroles d’esclavage, des témoignages recueillis par le journaliste franco-ivoirien Serge Bilé, qui, dans une de ses histoires, raconte la répartie cinglante d’un esclave fouetté par son maître : « Mange ma chair, les os resteront ! »
Femmes antillaises et littérature
Les femmes antillaises, ces figures totem, occupent aussi la littérature. On les voit dans les histoires de Daniel Maximin, écrivain né en 1947 en Guadeloupe, spécialiste de l’auteure Suzanne Césaire (1915-1966) trop longtemps éclipsée par son mari Aimé, ou de la romancière également guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart, née en 1938. C’est d’ailleurs en découvrant les récits de cette dernière qui forment une véritable anthologie de la femme noire, que Chantal Clem, née en 1973 en Martinique et qui milite pour la sauvegarde du patrimoine d’outre-mer, a voulu donner une visibilité aux artistes antillaises au musée de l’Homme. « Etre une femme et en plus venir d’outre-mer, c’est un double-handicap. Nos plasticiennes ont beaucoup de mal à se faire connaître ! », déplore-t-elle.
Véronique Kanor (née en 1969), réalisatrice et poétesse, en est aussi parfaitement consciente. « Mes œuvres empreintes de récits d’outre-mer n’intéressent pas les institutions. Le noir antillais est invisible sur la scène artistique hexagonale. Un peu comme si les anciennes colonies françaises, la Guadeloupe, la Martinique, ou
d’autres, n’avaient été bonnes qu’à produire du sucre ou du rhum ! » constate-t-elle, exaspérée.
Le jeudi 8 mars, elle célèbrera la femme martiniquaise dans une lecture performative, accompagnée du percussionniste, François Causse. Sur les sons d’instruments traditionnels, comme le hang, petite percussion circulaire en métal, ou le tibwa, deux baguettes de bois avec lesquelles on frappe sur une tige de bambou, elle retracera le parcours de vie d’une de ces femmes amenée à devenir potomitan.
Florence Dauly. Publié le 08/03/2018.
A voir
Installation « Figures de Femmes Totem d’outre-mer » dans l’Atrium du musée de l’Homme du 8 au 21 mars, entrée libre.